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S’inspirer du cerveau pour créer des puces neuromorphiques

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Compte-rendu du petit-déjeuner AJSPI/CNRS du 12 décembre 2017.

Pour concevoir des puces électroniques dotées d’une mémoire, qui soient plus rapides et moins énergivores que celle des ordinateurs actuels qui fonctionnent avec des milliards de transistors,  plusieurs équipes travaillent sur des systèmes bio-inspirés, se fondant sur le principe de fonctionnement des neurones de notre cerveau et de leurs jonctions, les synapses.

Pour comprendre l’enjeu lié aux capacités d’apprentissage de ces nouveaux composants, nous avons rencontré  Damien QUERLIOZ (CNRS)  et Julie GROLLIER (CNRS).

Damien Querlioz, chargé de recherche CNRS  au Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (Laboratoire mixte CNRS-Université d’Orsay) a montré, avec son équipe, de quelle façon les mécanismes impliqués dans certaines mémoires alternatives peuvent être utilisés comme les « synapses » d’un nouveau système qui serait capable d’apprendre comment stocker et restituer des informations.  Des simulations numériques ont été réalisées, qui montrent qu’un tel système peut résoudre, en consommant peu d’énergie, des tâches cognitives comme les analyses d’images ou de vidéos.

Julie Grollier  coordonne un groupement de recherche du CNRS sur les puces bio-inspirées, le GDR BioComp. Directrice de recherche à  l’Unité mixte de physique CNRS-Thales de Palaiseau, elle a développé avec ses collaborateurs le premier nanoneurone artificiel capable de reconnaître 9 chiffres prononcés par différents locuteurs. Dans les prochaines années, ces nanoneurones  magnétiques  pourront être interconnectés grâce aux synapses artificielles citées plus haut, pour mettre au point  des machines de calcul de type neuromorphique. Le but est de réaliser des puces intelligentes qui compléteront nos ordinateurs actuels en apprenant à réaliser des tâches cognitives tout en consommant très peu d’énergie pour aider à la conduite des voitures, équiper des robots ou encore augmenter des prothèses médicales.

L’approche neuromorphique représente une nouvelle voie prometteuse pour concevoir des machines potentiellement capables d’apprendre comme l’être humain. On sait que c’est par l’intermédiaire des neurones et de leurs jonctions les synapses, que notre cerveau apprend. Plus la synapse est stimulée, meilleur est l’apprentissage. Mais aujourd’hui, la plupart des systèmes d’intelligence artificielle opérationnels se contentent de simuler le fonctionnement des réseaux de neurones à l’aide de puissants algorithmes, les réseaux de neurones formels. Cela a donné naissance à une technique révolutionnaire, le « deep-learning » ou « apprentissage profond » utilisée par exemple par Facebook pour la reconnaissance d’images. Mais cette méthode atteint ses limites : des supercalculateurs très coûteux en énergie sont nécessaires pour faire tourner de tels algorithmes très consommateurs de temps machine et de mémoire. Car ces systèmes ont besoin d’apprendre à reconnaître des milliers d’exemples avant d’être efficaces. Et ils ne sont performants que dans un seul domaine. Le problème tient en partie à ce que dans un ordinateur classique, les tâches de calcul et de mémoire sont séparées, ce qui confère une certaine rigidité et lenteur au système, et ce qui n’est pas le cas dans le cerveau. Par comparaison, le cerveau consomme 20 watts quand un super calculateur réalisant un nombre équivalent d’opérations arithmétiques aurait besoin d’au moins 10 Mégawatts.

L’approche neuromorphique entend dépasser ces limites en imitant davantage les neurones biologiques. Elle développe des nanoneurones connectés au plus proche par des synapses artificielles pour mêler calcul et mémoire et permettre un apprentissage rapide avec une faible consommation d’énergie. Si beaucoup de puces neuromorphiques sont inspirées des réseaux profonds, le défi est de réaliser des puces avec une capacité d’autoapprentissage. On parle dans ce cas d’apprentissage « non supervisé » par différence avec l’apprentissage profond qui est capable de reconnaître des formes, mais seulement après en avoir identifié des millions étiquetés par des humains. La puce serait alors capable d’extraire par elle-même les motifs intéressants dans les données, sans ces millions d’exemples étiquetés.

Travaillant dans deux laboratoires différents, Julie Grollier et Damien Querlioz collaborent au développement de ces puces neuromorphiques.

Concrètement Julie Grollier et Damien Querlioz développent des nanoneurones et des synapses artificielles appelées memristor. Ils utilisent de minuscules (une centaine de nanomètres) oscillateurs magnétiques, pour tenter d’imiter les neurones du cerveau. Ils sont composés d’un alliage cobalt/fer avec une jonction tunnel magnétique. Ils vibrent très rapidement (100 MHz à quelques GHz) et l’objectif est de les faire interagir les uns avec les autres à travers les signaux électriques et les champs magnétiques qu’ils produisent afin d’imiter les synapses. L’équipe de Julie Grollier a mis au point en 2017 un premier nanoneurone à 100 MHz, qui a été capable de reconnaître 10 chiffres de 0 à 9 avec un taux de réussite de 99,6 %. Ces composants analogiques sont des bons candidats pour créer des réseaux de neurones, car ils sont capables de recevoir un signal électrique, de le transformer et de le transmettre, un fonctionnement qui se rapproche de celui des neurones biologiques.

En ce qui concerne les synapses artificielles, les memristors augmentent ou réduisent la valeur de leur résistance en fonction des impulsions électriques qui les traversent à l’instar d’une synapse biologique. Et ils possèdent une mémoire résistive, c’est-à-dire la capacité de garder en mémoire les impulsions passées même si on cesse de les stimuler électriquement. En effet, les impulsions électriques modifient de façon durable leur résistance qui reste inchangée jusqu’à la prochaine stimulation. En principe si on connecte des memristors en réseau, on devrait donc obtenir un système capable de mémoriser des informations sans que l’apprentissage soit à refaire à chaque nouvelle utilisation.

L’approche neuromorphique suscite beaucoup d’enthousiasme. Une centaine d’équipes de chercheurs dans le monde y travaillent. Une équipe de l’université Princeton a dévoilé en 2016 un prototype de puce neuromorphique photonique composée de 49 neurones artificiels, qui serait 1960 fois plus rapide qu’un processeur classique. Les géants de l’électronique s’y sont mis aussi, mais avec une approche plus classique. Mais la puce True North d’IBM utilise 5 milliards de transistors pour reproduire des millions de neurones et des centaines de millions de synapses. (plusieurs dizaines voir centaines de transistors pour chaque neurone et synapses, alors qu’un seul memristor permet d’imiter une synapse). De son côté, Intel a annoncé que sa puce neuromorphique Loihi gravée en 14 nanomètres et intégrant l’équivalent de 130 000 neurones et 130 millions de synapses serait disponible au printemps 2018. Google a également une puce dans ses cartons.

À ce propos, Julie Grollier et Damien Querlioz soulignent que ce serait bien qu’un partenariat industriel se développe autour de leurs puces, à l’échelle française ou européenne, pour que leur technologie ne soit pas industrialisée uniquement par les géants américains et asiatiques.


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